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Photo du rédacteurLaurent Bailly-Barthez

DECRET TERTIAIRE : It's a long way to the top !



Début janvier, Martin et Claude me demandent de passer les voir dans leur immeuble toulousain. Ces deux associés d’une SCI à bien unique (un immeuble de bureaux plus tout jeune) sont des clients de longue date, pour qui j’ai loué plusieurs lots et qui, levant le pied dans leur activité professionnelle respective, réfléchissent à la manière de gérer l’immobilier qu’ils possèdent en commun.

Ayant plus de disponibilité, ils sont motivés pour le gérer et s’en occuper, et nous étudions plusieurs scénarios afin de valoriser les surfaces vides qui leur restent. Jusqu’à ce qu’ils me posent la question de vendre un étage …

« Vendre ? Bonne idée, mais dans ce cas, privilégiez la vente en bloc plutôt que la cession d’une partie. Déjà, vous éviterez la copropriété, mais surtout, avez-vous commencé à vous préoccuper du Décret Tertiaire ?


UN OUTIL MECONNU MAIS QUI S’APPLIQUE A TOUS


Mes deux interlocuteurs me regardent, perplexes, et s’interrogent mutuellement du regard. Non, ils n’en ont jamais entendu parler et ne savent pas de quoi il s’agit.

Rien d’étonnant à cela, c’est une scène qui se répète régulièrement. Si nul n’est censé ignorer la loi, en matière d’immobilier il y a un monde entre les gestionnaires de grandes foncières, au top de la veille juridique, et la masse des gérants de SCI familiales ou d’associés, qui constituent l’immense majorité du parc et font le sel de mon métier, tant est grande la diversité de leurs situations et de leurs stratégies.

En quelques minutes, je leur présente l’essentiel du Décret Tertiaire et mes clients changent de catégorie : certes, ils ne deviennent pas experts du sujet, mais en savent déjà assez pour intégrer ces nouveaux paramètres à leurs arbitrages. Car c’est tout l’intérêt du Décret Tertiaire, encore méconnu mais qui va prendre de l’importance en 2023, que d’introduire une nouvelle échelle de temps dans les cycles de décisions d’investissement.

En quelques réponses à des questions simples, résumons ce que mes clients ont appris ce jour-là :

- Quand ? Avant le 30 Septembre 2022, tous les assujettis auraient dû remplir leurs obligations déclaratives sur la plateforme OPERAT de l’Ademe.

- Qui ? Sont assujettis tous les propriétaires de bâtiments tertiaires de plus de 1000 m2 (mes clients), de bâtiments dans lesquels les surfaces tertiaires dépassent les 1000 m2, et toutes les copropriétés (y compris mixtes habitat/tertiaire) dans lesquelles les surfaces tertiaires dépassent cette même limite.

- Quoi ? Depuis la date butoir, les assujettis doivent avoir renseigné sur la plateforme de centralisation des données OPERAT la consommation énergétique d’une année de référence (qu’ils peuvent choisir entre 2010 et 2019). Ils doivent aussi avoir mis à jour celle de 2021. Voilà pour le volet déclaratif.


REDUCTION MASSIVE DES EMISSIONS EN VUE !


Mais ce n’est qu’un point de départ ! L’objectif principal du Décret Tertiaire est de planifier la rénovation énergétique des bâtiments assujettis, afin de provoquer une diminution enfin ambitieuse de leurs émissions. En effet, quels sont les trois paliers de réductions à atteindre par rapport à l’année de référence ?

- Moins 40% en 2030

- Moins 50% en 2040

- Moins 60% en 2050

Trois objectifs que la loi ne sort pas par miracle de son chapeau ! (En l’occurrence la Loi Elan du 23 novembre 2018, dont on voit qu’elle aura dû batailler avant qu’elle ne produise ses premiers effets) Il s’agit tout simplement de la déclinaison pour le secteur de la notion de Facteur 4 : Avoir divisé par 4 à l’horizon 2050 les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 1990.

Le fanatique des ordres de grandeur que je suis répète déjà depuis longtemps à ses clients les 4 valeurs à retenir pour le monde de l’immobilier, qui témoignent des gisements de réduction considérables à aller chercher :

- Le secteur représente de 30 à 40% des émissions de GES

- Le bâtiment professionnel au sens large (ma seule sphère d’influence) correspond à 25% des surfaces en France pour 1 milliard de m2

- La moitié des émissions de GES d’un bâtiment concerne son temps d’exploitation

Et enfin, on n’oublie pas qu’en construisant environ 1% de neuf chaque année, 73 % des surfaces existantes de 2050 sont déjà là ! Ça en fait des terrains de jeux pour agir dès maintenant pour le climat !

A ce stade, je me retourne vers mes clients, Martin et Claude : On fait quoi ? Ils n’en savent rien, ne s’étant jamais projetés aussi loin dans le futur.

Là non plus, rien d’étonnant : nombre de propriétaires s’en tiennent jusqu’à présent à la jurisprudence IAM, Demain c’est Loin ! Mais avec le Décret Tertiaire, plus d’échappatoire. 2030 se rapproche déjà et le premier des trois paliers est ambitieux. Certes, pour ceux qui pensent conserver leur portefeuille, les sanctions prévues, en admettant qu’elles s’appliquent un jour, restent symboliques. Et rien ne dit que leurs preneurs, pour l’essentiel des TPE/PME, s’intéressent d’assez près au sujet pour en faire un levier de décision.



Mais à long terme, qui peut être sûr de conserver son patrimoine jusqu’en 2050 ? L’âge moyen du mono-propriétaire étant assez élevé, (souvent un ancien chef d’entreprise qui s’est constitué un revenu de rapport), il aura sans doute passé la main d’ici là, et la question de la répartition de l’effort pour atteindre les 60% de réduction va vite se poser : ce qu’un cédant n’accomplira pas, l’acquéreur devra s’en charger et il ne se privera pas d’appliquer à son estimation la fameuse décote brune, qui n’est pas une notion neuve, mais qui trouve dans le Décret Tertiaire un cadre plus lisible à son application.

La question ne se pose pas qu’en terme financier. Nombre de propriétaires ne sont pas staffés, que ce soit en interne ou en raison d’un recours insuffisant à du conseil externe, pour mettre en œuvre les étapes d’une rénovation énergétique sereine : diligenter un Audit Energétique, établir un Programme Pluriannuel de Travaux, lever les Financements et surveiller le Rendement, autant de compétences qui demandent des moyens et qui vont inciter à réaliser plus tôt que prévu son investissement, pour ne pas s’encombrer d’actifs dépréciés.

Il est donc probable qu’on assiste à une régénération profonde du parc des propriétaires de biens professionnels, au profit d’acteurs mieux formés aux objectifs climatiques, et capables de mobiliser les fonds pour engager les travaux et améliorer les étiquettes énergétiques. Le Décret Tertiaire aurait alors atteint son objectif !


Mais n’oublions pas Martin et Claude. Après quelques semaines de réflexion, ils m’ont rappelé … Nous préparons les estimations, pour une prochaine mise en vente !

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